Un charlot en NIV : chapitre 4 (Nancy II)

par

Matthieu Pourquet

publié le

16 janvier 2015

charlie echecs 3

A peine remis des fêtes et de la défaite au championnat interne qui avait vu s’affronter Vandoeuvre 3 et Vandoeuvre 1/2, une équipe mixte composée paritairement de Seichanais et d’anciens Vandopériens – mais je ne vous dirai pas qui fait les filles, les soins dentaires sont tellement chers de nos jours – qu’il fallait remettre le couvert, contre Nancy II, un gros morceau. Après le désastre du dimanche 14 décembre où les cinq équipes vandopériennes avaient réalisé un grand chelem à l’envers, un sursaut citoyen était attendu ce 11 janvier, et pas seulement dans les rues de France. Il faut dire qu’un journaliste d’investigation de Stanislas Echecs avait mené l’enquête et découvert la cause de l’invraisemblable scoumoune qui semblait s’être abattue sur le club : Carlsen.

Comprends-moi bien, lecteur mon ami. Je ne suis pas en train d’accuser le bambin joufflu au visage bougon et aux moues arrogantes qui se permet de piquer un roupillon entre deux coups lorsque son adversaire réfléchit au championnat du monde d’être responsable de la poisse qui nous colle à la peau comme le sparadrap au doigt du capitaine Haddock. Non, je veux parler de lui (photo),

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cette créature diabolique bourrée d’ondes négatives comme un portable déréglé et de poils allergènes qui font atchoumer et que seuls un reste d’humanité et la veule sensiblerie de ma fille à l’égard de nos frères inférieurs, surtout quand ils font miaou ou d’autres bruits incongrus, m’empêcheront de trucider à grands coups d’échiquier en bois.

Et puis je ne sais pas vous, mais moi la violence j’ai eu un peu ma dose ces derniers temps. Du coup, j’ai sagement opté pour une méthode douce, à base de trèfle à quatre feuilles, de fer à cheval ou d’étron à marcher dedans du pied gauche, pour me débarrasser du funeste animal. Vous noterez d’ailleurs que cette dernière technique s’est avérée, et de loin, la plus efficace : non seulement j’ai réussi à éloigner le sombre félin du château, mais en plus j’ai fait le vide autour de moi.

Comme d’habitude à ce moment de l’année, je fus confronté au problème aussi éternel qu’orchidoclaste des compositions d’équipe. J’avais en effet reçu un certain nombre de mots d’excuses en bonnet Duforme, ce qui présente au moins l’avantage de tenir chaud l’hiver. A J-3, je n’avais trouvé que 6 Charlie, et un Charlot : le capitaine. Fort heureusement, Charlie Alexandre, dont ce serait la grande première, put se libérer in extremis pour nous rejoindre. Ce renfort allait-il être suffisant pour vaincre les Charlie d’en face, plus faibles en théorie sur les premiers échiquiers, mais plus forts sur les derniers ? En fait, j’espérais secrètement que les épidémies de rhinites, de gastro-entérites, de travaillites ou de défiléites avaient elles aussi décimé nos adversaires…

Décidément, il était écrit que ce 11 janvier serait historique. Je ne fais pas seulement allusion à la mobilisation exceptionnelle de tout un peuple uni pour une fois derrière une même bannière, la défense de la liberté d’expression, même si, quand je vois certains de ces convertis de la dernière heure, je pouffe. Non, je veux parler d’un événement encore plus extraordinaire. Crois-moi si tu veux, lecteur mon ami, mais on a réussi l’exploit inédit et inouï de faire taire le Grand Commandeur de La République Démocratique de Seichanie, venu en grandes pompes (pointure 44) en voyage officiel dans notre vandopérien château.

Si, si, je te le jure. Et ça a même duré une minute.

Je ne sais pas si on peut parler de contagion en ces périodes épidémiques, mais la communion des foules sentimentales avec soif d’idéal chères à Souchon semblait avoir déteint sur nous. Au bout de 3 heures de jeu, aucune partie n’était terminée : nous n’avions manifestement aucune envie de nous quitter. La rencontre se déroulait dans un silence presque religieux – mais, rassurez-vous, laïc quand même – à peine troublé toutes les dix minutes environ par les vibrations d’un téléphone portable que Roger Charlie, de l’Echiquier nancéien, qui avait gentiment accepté d’arbitrer le match – 2 de nos arbitres attitrés s’étaient barrés à Esbarres, le 3ème donnait le sein ou le biberon, je ne sais plus, à un futur adhérent – gardait auprès de lui – je ne mentionne ce détail sans aucun intérêt que par pure jalousie, le mien ne vibrant en moyenne qu’une fois tous les deux mois, c’est fou d’ailleurs le nombre de gens qui peuvent se tromper de numéro.

Il faut également préciser à ce propos que nous avions exilé Charlie Abdo, le Grand Amateur de Rillettes, et sa garde rapprochée, dans une salle du château éloignée, pour être plus tranquilles.

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Au bout de trois heures de jeu, donc, rien. Ou plutôt si : Charlie Gérard a une pièce de moins, Charlie Florian et Charlie Vigneron une qualoche de retard, et moi un pion de plus. Heureusement, c’est le moment que choisit Charlie Papymotard, avec un sens de l’à-propos qui l’honore, pour nous apporter le premier point. Il était temps : c’était aussi son premier point cette saison en équipe (mais tout est pardonné).

Après la défaite, prévisible, de notre vénéré président, Nancy recollait au score. Mais pas pour longtemps : Charlie Jiji l’emportait sur Pablo Charlie, l’un des pousseurs de bois les plus gentils du circuit, mais avec l’accent espagnol.

Quant à moi, mon avance avait fondu comme une bûche de Noël oubliée près d’une cheminée. Je n’avais pas voulu croquer un pion par crainte d’indigestion, alors que l’analyse montrera que je pouvais le digérer tranquillement. La position était devenue nulle, mais la différence d’ Elo et mon retard à la pendule étaient conséquents, et ma proposition fut refusée.

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Sur les autres tables, Charlie Alexandre, dans une partie où il avait me semble-t-il l’avantage – mais mes estimations sont aussi fiables que celles de Météo France, c’est dire – ne put obtenir mieux que le partage du point. Charlie Florian, grâce à une fourchette oubliée par son adversaire, égalisa, et la paix des braves fut également conclue. Ne restaient donc que trois parties, dont la mienne.

Justement, parlons-en. Dans une finale de tours avec chacun un pion passé, je pensais pouvoir annuler en sifflotant. Je savais que je devais impérativement tenir mon roi éloigné des menaces d’échecs sous peine de voir le fantassin adverse devenir dame. Il suffisait donc de le ramener tranquillement en g7 ou en h7 pour anéantir tout espoir de victoire des Blancs. Mais comme d’habitude, mon esprit avançant à sauts et à gambades, j’entrevois brusquement un autre plan. Bien sûr, tu l’avais compris, il était foireux. En zugzwang, je suis obligé de prendre un pion et de découvrir mon roi. Me voilà avec une tour de moins… Par bonheur, je n’avais commis que l’avant-dernière erreur : mon adversaire, pour le prix d’un pion, me laissera tranquillement ramener mon roi vers mon pion passé, et plus rien ne pourra s’opposer à la nulle.

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Restaient donc deux parties, décisives. Charlie Vigneron avait toujours sa qualoche de retard. Mais en vieux briscard, il réussit à gratter un pion. Du coup, sa finale fou + 3 pions contre tour + 2 pions devenait sans doute nulle, et le partage du point fut entériné.

Pour remporter le match, il suffisait à Charlie Treiber, qui avait un pion de plus en finale de tours, de ne pas perdre. Avec son sang-froid habituel, notre doyen, qui aurait sans doute pu l’emporter, préféra ne pas prendre de risque, et annula.

Vandoeuvre l’emportait sur le fil 2-1.

Une victoire importante, mais bien sûr dérisoire au regard des événements tragiques que nous venions de vivre.

Plus tard, devant ma télévision, regardant les images de la foule digne et vibrante des Charlie, je repenserai à cette phrase d’Alekhine : « Deux fous gagnent, mais jamais trois. »

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