Indien vaut mieux que deux

par

Matthieu Pourquet

publié le

8 octobre 2018

 

Lecteur ômonamimonfrère (oui : si j’en juge d’après les copies de mes 6èmes, la nouvelle mode en matière d’orthographe, c’est de ne pas s’embêter à segmenter les mots), si tu suis un peu l’actualité échiquéenne, tu dois être au courant des dernières directives de la Fédé. Je n’évoque pas ici la nouvelle obligation du certificat médical, qui est tout à fait normale (même si, personnellement, je préfère les joueuses sans certif) : un claquage de neurone ou une entorse du cervelet sont si vite arrivés (j’ai des noms) qu’il vaut mieux être prudent. Et puis , comme le dit à peu près Stefan Zweig, il faut être un grand malade pour faire tendre toute les forces de sa pensée pendant 10, 20, 30 ou 40 ans de sa vie vers ce but ridicule : acculer (non Alain, ce n’est pas un gros mot) un roi en bois dans le coin d’une planchette.

En réalité, je fais allusion aux déclarations récentes d’un certain Zemmourkovich, ou Zemmouropoulos, je ne sais plus, qui a décrété que, les échecs n’étant pas une terre vierge mais un sport avec une histoire, un passé, les prénoms des joueurs participant aux interclubs devaient impérativement incarner l’histoire du roi des jeux. Sur le coup, j’avoue avoir été un peu embêté. Parce qu’en consultant la liste de mes joueurs potentiels, je me suis dit que ça allait être compliqué. Je n’ai par exemple trouvé nulle trace d’un Saint Chedy dans l’histoire des échecs et encore moins d’un Saint Patate, ni même d’un Saint Stéphane, qui est un prénom grec, et les Grecs, c’est bien connu, ils excellent surtout au bilboquet. Bref : j’étais perplexe. Je m’apprêtais à me résigner à aller rejoindre les cheveux de Cédric à Pôle emploi pour pointer comme capitaine au chômage quand tout à coup une illumination a traversé la chambre noire qui me sert habituellement d’esprit.

Qui a écrit l’histoire des échecs ? Karpov, Kasparov, Smyslov, Makelov… Les Russes, pardi ! Même quand ils sont français, comme Alekhine ou Vachier-Lagravovich, ils sont russes ! Et des Russes, c’est pas ça qui manque au club : Krystov, Brunov, Alexirovich, Chedyrovich… Et surtout, j’allais pouvoir sélectionner dans mon équipe la plus slave d’entre les slaves, la délicieuse, propre (puisqu’elle slave) et talent-tueuse Anastasia !

Tout ragaillardi par ma trouvaille, j’allai derechef (encore un Russe) consulter le coach, qui était occupé, avec une conscience professionnelle qui l’honore, à goûter la nouvelle recette de mousse au chocolat que Jean compte servir à l’Open :
« Coach, coach, que je lui fais. C’est bien les Russes qui ont inventé les échecs ?
_ Mais pas du tout, Patate, qu’il me rétorque la bouche encore pleine. Ch’est les Indiens.
_ Les Indiens ? Vous êtes sûr ? que je lui demande.
_ Auchi chûr que chinq et chinq font dich », déglutit-il.

Plouf. Mon plan génial tombait à la flotte dans un grand bruit de chasse d’eau. Mais cestpaspossible, quallaisjedoncfaire ?

C’est alors qu’une deuxième illumination me traversa la chambre noire, ce devait être le réchauffement climatique : je n’avais qu’à donner à mes joueurs des noms indiens, et le tour était joué ! Je décidai alors de rebaptiser, dans l’ordre des échiquiers, Jean-Pierre, Moussa, Chedy, Alexis, Cumali, Bruno, Christophe et Mapomme : Faucon bougon, Faucon à Lunettes, Faucon Attardé (car jamais à l’heure), Oeil de Faucon, Plume de Faucon, Faucon Déplumé, Faucon Cause, et en tête de gondole le capitaine, Faucon Toucourt. Ce qui fit dire au coach : « Je ne sais pas où vous avez déniché vos faucons, mais moi je crois que je viens d’en trouver un vrai. »

 

En plus de l’onomastique, j’avais aussi fait du coaching, à la manière d’un José Deschamps ou d’un Didier Mourinho. Je m’étais placé en tête de cordée pour tenter de faire fumer de force à l’aîné des Adrian et ses presque 1750 Zélos le calumet de la paix (première partie du plan), charge aux deux échiquiers suivants de nous offrir le scalp de leur adversaire (2ème partie du plan). Avec une forte probabilité de gain au 7ème, une victoire sur les Tuniques Bleues du capitaine Périsse était à notre portée.

Las ! Tu t’en doutes, lecteur monami, tout ne s’est pas passé exactement comme je m’y attendais … J’avais annoncé, et là je ne m’étais pas trompé, qu’au moins une équipe de Vandoeuvre ne perdrait pas à la ronde 1, mais ce ne fut pas la bonne. Car si votre serviteur, dans un combat au corps à corps et au couteau où tour à tour chacun rata l’autre, réussit finalement à neutraliser l’ennemi le plus redoutable, si au 7ème, comme prévu, le farouche guerrier sans montre revint pour une fois en avance, son pugilat ayant duré aussi peu de temps qu’un Trivial Pursuit avec Nabilla, et avec la dépouille de son adversaire, le plan ne se déroula pas tout à fait comme je l’avais imaginé au 3ème (nulle, je parle de la partie bien entendu) et au 2ème, où mon guerrier mordit la poussière, ce qui ne lui était jamais arrivé la saison dernière. La jolie victoire de Cumali au 4ème ne changeait rien au résultat final : nous devions rendre les armes aux papooses d’en face. Défait l’an dernier, Vandoeuvre IV prenait sa revanche : cette fois-ci, le signe indien était vaincu.

 

 

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