Les aventures du chevalier de la Patate en NIV : Metz Alekhine (chapitre VI)

par

Matthieu Pourquet

publié le

22 mars 2015

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Il y a fort fort longtemps, à une époque où les téléphones portables et Nabilla n’existaient pas, c’est vous dire si les temps étaient tristes, un dragon épouvantable semait la terreur dans la bonne ville de Metz. Son nom seul suffisait à susciter l’effroi, même en plein été. Les Messins l’avaient en effet appelé le Graoully, d’après un mot allemand signifiant «terrifiant». On le voyait planer au-dessus de la cité mosellane, prêt à saisir dans ses serres acérées l’imprudent promeneur pour le dévorer. Les flèches et autres javelots ne pouvaient entamer sa carapace tant elle était épaisse et dure. Rien ne semblait pouvoir le vaincre. Seule l’eau inspirait à ce monstre quelque crainte, ce que personnellement je peux comprendre.

Or, il arriva que Saint Clément, qui ne l’était d’ailleurs pas encore, vint de Rome pour prêcher la Bonne Nouvelle aux âmes impies. Après avoir accompli quelques miracles, le saint homme jouissait d’une réputation assez considérable dans la région. Un jour, un légionnaire vint le trouver et lui demanda, comme il réalisait des prodiges, de débarrasser les Messins de l’affreux dragon.

Clément accepta et se rendit le lendemain dans la tanière du Graoully qui avait élu domicile, allez savoir pourquoi, dans un amphithéâtre romain abandonné et infesté de serpents. Il s’avançait, seul, vers le repère du monstre, sous le regard inquiet de la population courageusement restée à l’écart, lorsque tout à coup, les reptiles s’enfuirent en sifflant et le Graoully surgit brusquement, se dressant de toute sa hauteur. Nullement impressionné, Clément étendit la main vers le dragon, et jeta son étole qui vint s’enrouler autour de son cou (celui de la bestiole, hein, faites un effort pour suivre s’il vous plaît). Puis il serra. Se servant de la sainte écharpe comme d’une laisse, il traina l’horrible monstre, trébuchant à chaque pierre comme Ribéry sur les mots de plus de deux syllabes, jusqu’à la Seille, une rivière, dans les eaux noirâtres de laquelle il le jeta. Et comme l’autre andouille avait séché les cours de piscine, ce fut ainsi que périt le Graoully.

Du moins c’est ce qu’on croyait. Car, tenez-vous bien (tenez-vous mieux dans le fond), le Graoully n’est pas mort : il vit encore. Il a juste changé de nom. Il se fait appeler à présent Metz Alekhine et terrorise tout ce que la Lorraine compte de pousseurs de bois. Hommes de peu de foi, vous êtes sceptiques ? Vous réclamez des preuves ? Eh bien en voilà une : dans Graoully, il y a 8 lettres. Dans Alekhine, comme dans Félhicie, aussi…

Par deux fois, le monstre avait été vaincu, d’abord par les troupes du bon roi Stanislas, puis par celles de la Seichanie. Mais tel le Phénix, il renaissait constamment de ses cendres. Il faut dire que, comme l’hydre de Lerne, il possédait plusieurs têtes, huit pour être précis, sans compter celles de rechange, et plutôt bien faites. Sitôt tranchées, elles repoussaient.

Or, pour décrocher la coupe du Saint Graal, les chevaliers des 64 cases (63 en ce qui me concerne, il paraît qu’il m’en manque une) doivent accomplir des exploits. L’épreuve qui nous attendait était redoutable : c’était notre tour d’affronter le terrible dragon sur ses terres.

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La quinzaine précédant le jour du combat, j’avais eu plus de mal que d’habitude à réunir mon armée. Certains de mes fiers guerriers donnaient des signes de lassitude, d’autres pansaient leurs blessures ou s’égaraient dans ces occupations futiles que l’on nomme «travail». Quoi qu’il en soit, j’avais tout de même réussi à convaincre 7 joyeux compagnons de m’accompagner dans cette quête qui avait tout du voyage sans retour. Il y avait Jehan-Jacques le comte de l’Ohème, notre apothicaire Jehan Le Vigneron, Aliaume le chevalier Braillard, le comte Jehan de Treiber, le baron de Papymotard, le vicomte Alexandre Le Grand, sans oublier notre roi vénéré, Gégé 1er.

Première difficulté pratique : il fallait découvrir l’antre où se cachait le monstre. Nos espions enquêtèrent et trouvèrent son adresse, propre à réjouir tout mâle hétérosexuel qui se respecte : rue des Robert. Ce fut donc là que nous nous rendîmes dare-dare, sans tours ni détours, car le GPG (guidage par Gégé) fit merveille.

Arrivés devant l’entrée de la tanière du dragon, nous éprouvâmes une déception bien légitime : point de rotondités mammaires, pourtant annoncées dans le programme. Le coeur battant, nous dûmes descendre quelques sombres galeries pour le rencontrer, car le Graoully, nous aurions dû nous en douter, vit sous terre. Enfin, nous pûmes l’apercevoir. Il était encore plus effrayant que ce que nous pouvions imaginer : nous étions dominés sur tous les échiquiers ! Et comme dans la légende, sa tête crache, mais pas des flammes… En revanche, il sait recevoir : salle spacieuse, échiquiers en bois et café offert.

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Les hostilités commencent. C’est la muraille de pierre de la Hollandaise qui se dresse devant moi. Au début, tout va bien : je suis en train d’élaborer un plan pour échanger les fous de cases noires (son bon fou contre mon mauvais) lorsque mon adversaire me propose spontanément le troc que j’espèrais. Du coup, me voilà avec un petit avantage stratégique. Tranquillement, j’améliore ma position, chasse à coups de pied le destrier noir niché en e4 et l’ami Fritz préfère clairement les Blancs. Mais le stonewall, c’est du solide, et le temps, hémophile, coule… Il me faut un plan, et rapidement, pour abattre le rempart ennemi. J’opte finalement pour la percée e4, un plan, tu l’auras deviné ami lecteur, un peu foireux, alors que l’échange en d5 me donnait le contrôle de la colonne c et un corridor pour envahir le territoire ennemi.

C’est à ce moment précis que choisit le Graoully pour faire sa première victime, et quelle victime ! Gégé, notre souverain bien-aimé ! Puis, quelques temps après, ce fut au tour du baron de Papymotard, suivi du vicomte Alexandre, de mordre la poussière. En quelques minutes, une véritable hécatombe !

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Par bonheur, sur les autres échiquiers, les survivants semblent en mesure de tenir leur position, du moins provisoirement. Pour ma part, je fais de mon mieux pour contenir l’avalanche de pions sur mon roque. Une imprécision a en effet réduit mon avantage à néant, mais la nulle est envisageable. Cependant, inexorablement, l’armée ennemie oppresse mes fortifications, conquiert plus d’espace, et je commence à m’inquiéter pour la sécurité de mon monarque. J’essaie d’échanger tout ce que je peux, puis, comprenant que m’attend une longue et douloureuse asphyxie, je décide de jouer mon va-tout et de lancer mes dernières forces dans la bataille. Las ! A quelques coups du contrôle du 40ème, et pressé par le temps, j’oublie un zwischenzug et abandonne devant la menace d’un mat en 3…

A ce moment-là, nos affaires semblent bien mal engagées, mais il reste encore 4 duels, et la possibilité mathématique d’égaliser. Le comte de l’Ohème défend héroïquement une finale de tours compliquée avec un pion de moins, comme le comte de Treiber, mais avec des fous de couleurs opposées. Malheureusement, et malgré tout leur courage, mes deux vaillants compagnons devront, vaincus par plus forts qu’eux, rendre les armes. Jehan le Vigneron arrachera quant à lui une vraie nulle de combat.

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Il ne reste plus en lice que le chevalier Aliaume qui ne guerroie plus que pour l’honneur. La position est, comme on dit, compliquée, et peut basculer d’un côté comme de l’autre. Les deux combattants ne se font aucuns cadeaux, se tendant mutuellement piège tactique sur piège tactique. Au petit jeu du chat et de la souris, c’est toutefois le chevalier Braillard qui se montrera le plus habile. Jouant avec la pendule et avec mes nerfs, il finira, et avec la manière, par s’imposer, prolongeant une incroyable série d’invincibilité.

Au final, une lourde et indiscutable défaite 6 à 1, qui permet au Graoully messin de prendre une option sur la coupe du Graal.

Lecteur mon ami, il faut se rendre à l’évidence : dans ce monde sans repères où tout fout le camp, on ne peut plus se fier à rien ni à personne, pas même aux vieilles légendes des temps anciens…

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