Les aventures très horrifiques du chevalier de La Patate en NIV : chapitre V (Stanislas)

par

Matthieu Pourquet

publié le

8 février 2015

ménuires 035

Aux lecteurs

Amis lecteurs, qui ce livre lisez, despouillez vous de toute affection; et, le lisant, ne vous scandalisez : il ne contient mal ne infection. Vray est qu’icy peu de perfection vous apprendrez, si non en cas de rire; aultre argument ne peut mon cueur elire, voyant le dueil qui vous mine et consomme : mieulx est de ris que de larmes escripre, pour ce que rire est le propre de l’homme.

Seigneurs, Empereurs et Rois, Ducs et Marquis, Comtes, Chevaliers et Bourgeois, gentes Dames et gentils Damoiseaux, Beuveurs très illustres, et vous, Vérolez très précieux (car à vous non à aultres sont dediez mes escriptz) qui voulez connaître l’épique bataille que livra la Vandopérie aux troupes du bon roi Stanislas, lisez ce livre et faites-le lire ; car vous y trouverez de grandissimes merveilles et maintes folles aventures.

stan 265Sachez d’abord que les raisons de la rivalité des deux royaumes voisins se perdent dans la nuit des temps. D’aucuns prétendent que des vendeurs de fouaces de la Nancéie auraient refusé de vendre un peu de leur marchandise à des bergers vandopériens occupés à garder les vignes pour éviter que les étourneaux ne mangeassent les raisins, mais je crois qu’ils confondent avec une autre histoire racontée par un obscur écrivaillon dont la postérité s’est empressée d’oublier le nom, alors que tout le monde se rappelle celui d’une intellectuelle genevoise lanceuse occasionnelle de couteaux au QI inversement proportionnel à la taille de ses prothèses mammaires (à Beaumont-le-vicomte, on murmure aussi qu’elle serait folle de la messe), un certain Alcofribas Nasier, que voulez-vous le monde est mal fait.

stan 283D’autres relatent que des Vandopériens, une nuit d’ivresse, auraient ajouté à un portrait du roi Stanislas des oreilles d’âne, et cette caricature aurait été jugée blasphématoire. Encore faut-il n’apporter que peu de crédit à cette histoire, tant il paraît invraisemblable qu’on puisse se faire la guerre pour un petit dessin.

D’autres encore vous expliqueront qu’un linguiste de la Nancéie, alchimiste à ses heures, voulut imposer l’usage du verbe «refuser» en lieu et place du verbe «oublier», transmutant par la même occasion, non le plomb en or, mais une simple négligence en crime de lèse-majesté passible du pilori.

D’autres enfin disent que les chevaliers des deux royaumes se disputent tournois après tournois un curieux ustensile appelé «coupe du Graal» et dont la possession, paraît-il, affecte les fonctions urinaires, qu’elle rendrait insensibles, en même temps qu’elle provoquerait un enflement du bulbe cérébral, dénommé également «melon» par Hippocrate.

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Quoi qu’il en soit, les raisons de cette guéguerre picrocholine sont aussi nébuleuses que dérisoires, comme toutes les guerres d’ailleurs. Mais pour le combat dont il est question aujourd’hui, les motifs en étaient un peu différents.

En effet, le roitelet d’un royaume fort fort lointain avait publié au début du mois une liste où les fiers-à-bras du bon gros monarque avaient eu l’outrecuidance de nous précéder, au mépris de toute étiquette, au prétexte qu’ils étaient fort bons bretteurs ayant remporté moult duels. Cet affront ne pouvait rester impuni, et notre roi vénéré Gégé 1er m’avait chargé de réunir tout le ban et l’arrière-ban de la baronnie vandopérienne. J’avais donc dépêché moult et moult pigeons voyageurs et ô surprise, la plupart d’entre eux étaient revenus porteurs d’une bonne nouvelle : toutes les fines lames de la Vandopérie ou presque étaient prêtes à en découdre. Il y avait de quoi d’ailleurs remplir deux compagnies : sire Marc notre guérisseur, damoiselle Bérénice et son Altesse Sérénissime Gégé 1er renforceraient donc les troupes du seigneur du Buc.

Pour constituer mon armée, j’avais misé sur l’expérience de vieux grognards blanchis sous le harnois et d’un grognon – le capitaine. J’avais de plus préparé un plan autant diabolique que révolutionnaire, un comble en monarchie : les soldats aux ordres de chaque baron porteraient tantôt des armures blanches, tantôt des armures noires, de manière à embrouiller l’ennemi. Comment reconnaîtrait-il les siens à travers toutes ces couleurs mélangées ?

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Mais lorsque j’arrivai avec mes troupes sur le champ de bataille, une surprise de taille – et d’estoc – m’attendait : Stanislas avait eu la même idée ! Ses combattants, comme les touches de piano, étaient alternativement blancs et noirs ! Ils avaient donc eu vent de mes plans ! Vile trahison ! Félonie ! Y avait-il un Ganelon parmi nous ? Tu quoque mi fili ! Et mon regard accusateur de se poser sur la chair de ma chair, lorsque brusquement tout s’éclairut, ou s’éclaircissa, comme disent les jeunes (si,si, j’ai des preuves) : Carlsen ! Oui, Carlsen, ce chat maléfique noir comme les charbons de l’Enfer, n’était-il pas entré dans la salle l’avant-veille de la bataille au moment même où le connétable Christophe de Philippe entraînait les indomptables guerriers de la Vandopérie ? A coup sûr, le félin félon était un espion aux ordres de Stanislas ! D’ailleurs, si vous enlevez à Stanislas-Echecs le T, le I et le H, plus quelques doublons, n’obtenez-vous pas CARLSEN ? Comment ça, il manque un R ? Alors, vous aussi, vous faites partie du complot ???

Les deux armées se font face. Après les invectives habituelles («Bonjour», «Bonne partie», «merci»), chacun tente de saisir l’autre par la main (le geste de dégagement est longuement travaillé à l’entraînement). L’adversaire qui m’échoit est dame Catherine, dite aussi Shiva (cherchez pas les jeunes, c’est pas du verlan), tant elle semble avoir de bras. Habituellement occupée à l’arrière à l’intendance, où elle se dévoue sans relâche, elle a été cette fois envoyée en première ligne, et je me méfie de ses talents de finaliste, qui m’ont laissé moult souvenirs cuisants.

Dans un premier temps, l’affrontement suit les chemins balisés du Gambit de la Dame, côté noir pour moi. Habitué aux pratiques échangistes en vogue ces derniers temps dans la Nancéie, je suis fort étonné de me retrouver embarqué dans la variante Tartakover, que j’ai refusé de réviser la veille. Confronté à un plan inédit d’expansion à l’aile dame, et sans doute un peu douteux, je consomme beaucoup de temps pour trouver comment le contrecarrer. Heureusement, un premier pion offert gracieusement, suivi d’un second un peu plus tard, me permettent de prendre l’avantage.

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Après toute une série de passes d’arme dont je vous épargne le détail, je parviens à franchir le cap du 40ème en lançant une attaque décisive contre le monarque adverse. Même si je ne trouve pas la continuation la plus sanglante, j’arrive à échanger les dames et me voilà en finale de tours avec 4 pions de plus.

Normalement, plus rien de désagréable ne peut m’arriver. Normalement. Car c’était compter sans les talents de finaliste susmentionnés de l’Amazone, qui a repéré le talon d’Achille de ma position. Son roi parvient à s’infiltrer entre mes lignes et deux de mes plus vaillants fantassins le paieront de leur vie. Par bonheur, l’un de mes petits soldats, appuyé par ma tour survivante, fera rempart de son corps et stoppera la contre-attaque ennemie. Les trois autres coordonneront leur progression et, plus rien ne pouvant s’opposer à la promotion de l’un d’entre eux, dame Catherine se résoudra à déposer les armes et signera l’armistice.

stan 247J’avoue que, entièrement occupé à ferrailler de mon côté, je n’avais prêté qu’une attention distraite aux âpres combats qui faisaient rage autour de moi. Tout juste savais-je que Jehan Le Vigneron, notre apothicaire, avait succombé aux attaques sans doute pleines de venin de Sire Guillaume sans trouver d’antidote, et que Messire Yannick avait lui aussi mordu la poussière, vraisemblablement victime d’une botte secrète. Jehan-Jacques, comte de Lohème, avait quant à lui neutralisé son adversaire, et conclu la paix des braves. Sire Alexandre de Poplavsky, chroniqueur dans un journal bien connu quoique républicain, avait mené une attaque éclair et remporté une victoire rapide. Le comte de Papymotard, le baron Jean de Treiber, dit l’Invincible, car jamais cette saison il ne connut de défaite, à l’instar d’Aliaume, le chevalier Braillard, étaient revenus eux aussi triomphants du champ de bataille.

Cinq duels victorieux, deux perdus : la guerre était nettement gagnée. Et sur la liste des prétendants à la coupe du Graal, désormais, notre nom figurait en premier.

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