Un dimanche à Marange

par

Matthieu Pourquet

publié le

1 février 2017

L’accouchement fut difficile, mais le bébé est beau, surtout la tête. Jugez plutôt : au 1er échiquier, ni plus ni moins que la réincarnation de Capablanca, Alejandro et ses 2114 poinzélos ; au 2, ni plus moins que la réincarnation de Bent Larsen, le co-vainqueur du récent open B de Vandoeuvre, Arnaud, qui aligne les points aussi efficacement que j’enfile les perles ; au 3, l’homme qui tombe à pic, JC, notre sauveur, toujours là quand on a besoin de lui; et au 4, le toujours jeune Jeannot, qui me pose rarement un lapin.

Bon, je dois à la vérité d’avouer qu’à partir du 5ème, cela se gâtait un peu, puisqu’on trouvait l’homme aux mille gaffes, l’illustre capitaine Patate et sa lucidité légendaire, pourtant invaincu en interclubs depuis une saison et demie, allez comprendre, et l’homme qui finira par avoir ma mort sur la conscience, Chédy le magnifique, de retour parmi nous.

Mais il ne fallait rien de moins que cette équipe chic et choc pour revenir de Moselle couverts de gloire, pour reprendre les mots du coach. Nous devions en effet en ce dimanche affronter le co-leader du groupe, Morvrange Echecs, sympathique club présidé par le non moins sympathique Laurent Marange et son épouse Silvange, que tout le monde s’obstine à appeler Fabienne, allez comprendre. Parce que MS Echecs, c’est une affaire de famille : pas moins de 6 Marange sont licenciés à Morvrange (le quart des licences A !), à moins que ce ne soit l’inverse, dont 4 allaient être alignés contre nous, soit les deux tiers de l’équipe.

Premier défi pour mes nerfs fragiles – à part attendre Chédy, mais ça ne compte pas : trouver la salle de jeu. Parce que je vous explique : d’abord, le GPS, la Ruche et l’allée Lapierre, il connaît pas. Ensuite, Marange est en plein travaux, la construction de la VR 52, qui traverse la ville. Enfin, quand on demande à l’autochtone, il vous explique que « c’est de l’autre côté ! ». Et quand on y va et qu’on ne trouve pas et qu’on demande à l’autochtonette où c’est-y qu’elle est la Ruche, elle vous répond que « nonononon, c’est de l’autre côté ! » Bref : de quelque côté que l’on se trouve, c’est toujours de l’autre… Heureusement, une fulgurance soudaine me fait reconnaître, en passant devant, la Maison des Associations où j’avais disputé une rencontre en R2 il y a quelques années lors de mes débuts en pataterie. Bon, en fait, ce n’était plus celle-là, mais celle d’à côté – encore ! – , un bâtiment flambant neuf. Ayant éloigné le spectre hideux de la défaite par forfait, je poussai alors la porte de la salle tout ragaillardi et rempli d’espoir pour tomber… sur la salle de vote de la primaire de la Belle Alliance Populaire – le mec qui a trouvé ce nom frôle le génie. Et vous savez quoi ? Les échecs, c’était dans la salle d’à côté…

Salle où nous attendaient nos adversaires de pied ferme et avec un café chaud et offert, ce qui fait toujours plaisir. Quant à la feuille de match, nulle mauvaise surprise : nous étions supérieurs sur tous les échiquiers. Mais si, comme nous, les Mosellans étaient là pour passer un bon moment à pousser du bois, ils n’étaient pas venus pour rigoler, nous allions vite nous en apercevoir.

Ceux qui rigolaient, en revanche, et plutôt bruyamment, c’était ceux d’à côté. Parce qu’à votre avis, qu’est-ce que fait un militant, fût-il beau et populaire, quand il s’ennuie ? Eh bien il tape la Cosette, comme chez Hugo, ce misérable…

Mais parlons du match. Comme à Metz, J-C fut le premier à débloquer notre compteur. Heureux veinard : il pouvait rentrer à temps pour assister en direct au triomphe de l’équipe de France de hand.

Sauf erreur de ma part, il fut bientôt imité par Jean. Son adversaire avait beau clamer sur tous les tons « C’est nul ! C’est nul !», notre vétéran ne se laissa pas impressionner et gagna tranquillement sa finale de tours.

Puis, tout à coup, on entendit un cri, qui pour une fois ne venait pas du bureau de vote d’à côté : notre serial killer, Arnaud, venait de faire une nouvelle victime et tuait quasiment le match.

Match imperdable, donc, mais pas encore complètement gagné. Car juste à ma droite, Chédy était en difficulté avec son pion de retard et des compensations qui restaient à démontrer. Et loin loin sur ma gauche, Alejandro se demandait encore comment il allait percer le coffre-fort adverse.

Quant à moi, j’avais joué jusque là pour ne pas perdre, ne m’autorisant aucun risque. J’avais pourtant perdu un pion un peu bêtement sur déviation, mais j’étais persuadé que j’allais le regagner facilement. Las ! Cela allait se révéler plus compliqué que prévu. Car je dus même en sacrifier un 2ème pour en récupérer un, et le compte n’y était pas. Sans compter que Chédy venait de signer sa feuille, redonnant un peu d’espoir aux Mosellans…

Tout aussi grave, j’étais en grand zeitnot, ayant géré mon temps comme un manche à me poser mille et une questions idiotes. Cela dit, je trouvais tout de même du jeu grâce au contrôle de la colonne d, mais devais faire face à une attaque dangereuse sur mon roi. Obligé de jouer vite, je pare au plus pressé, m’épouvante d’un fantôme qui me coûte un nouveau pion, mais réussis à placer une tour, puis une 2ème sur l’avant-dernière rangée. C’est à ce moment que mon adversaire décida de sacrifier la qualité et de me proposer nulle… nulle que je m’empressais d’accepter car synonyme de victoire pour nous. Peu après, Alejandro abandonnait quelques poinzélos à l’aîné des Morvrange, ravi de sa perf, en partageant le point avec lui.

Accouchement difficile, et victoire aux forceps…

La France championne du monde, et Vandoeuvre IV seule en tête de son groupe : finalement, c’est pas si mal, un dimanche à Marange ! (sauf bien sûr pour Chédy qui dut rentrer à pied…)

 

 

 

 

 

 

 

 

PS : Le soir, à la maison, l’ami Fritz qui regardait tranquillement ma partie en bâillant se mit soudainement à s’affoler. Incroyable : Dans le 1er diagramme, mon adversaire (avec les Blancs) pouvait prendre un net avantage après 35. Dd5 ?. Et le coup suivant, (diagramme2) c’est moi qui pouvais gagner la partie !!!

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