Une patate en NIV : épilogue (EFE Metz)

par

Matthieu Pourquet

publié le

15 avril 2015

petit ecolier

«Ohé, ohé, capitaine abandonné…»

Les paroles inspirées du poète me revenaient en mémoire pendant que je fixais, hébété, le monticule de mots d’excuses amoncelés sur mon bureau : «On part samedi, ne compte pas sur nous», «Mon fils pourat pas venir. Signé : monpapa», «Je ne peux pas jouer, ce week-end, j’ai les boules.» (comprenez : j’ai un tournoi de pétanque). Jusqu’à ma propre fille qui m’avait annoncé, en plein mois d’avril (mais pas le 1er) : «Je peux pas venir à cause de la neige» (elle partait aux sports d’hiver). Il est vrai que jouer contre l’Ecole Française d’Echecs de Metz un jour de vacances scolaires, fallait oser…

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A J-15, nous n’étions pas nombreux à vouloir croquer les Petits Ecoliers messins. En fait, nous étions… quatre, dont la chère chair de ma chair (l’autre), c’est fou comme ça peut manger à cet âge là. Dans l’état de désespoir dans lequel j’étais plongé, j’en étais même venu à envisager de licencier Douchka, la chienne Labrador de ma mère, dont le patronyme à consonance russe laisse présager des dispositions prometteuses pour le roi des jeux.

Nous étions quatre, donc, mais fort heureusement, par un prompt renfort, nous nous vîmes six, puis sept, pas loin d’arriver au port : Florian, Gégé et les trois Jean (V, T, et Christophe) avaient répondu présent. Le Pitchoun Mattéo était même prêt à sacrifier quelques précieux poinzélos pour nous rendre service – merci encore à lui ! –, mais c’était déshabiller la R1 pour habiller la NIV, et en plein mois d’avril, ce n’était pas très prudent.

2015-04-13_13_50_24Bref. J’étais encore en train de tricoter mon équipe lorsque samedi soir sur les coups de 19H38 environ le destin me fit un signe sous la forme d’un SMS non signé : «Je suis libre demain.» J’en étais à supputer qui de Natacha, Claudia ou Jennifer, enfin une de mes nombreuses admiratrices, cherchait si subtilement à me faire comprendre que je ne la laissais pas indifférente, et qu’il ne tiendrait qu’à moi que nous parcourions ensemble les chemins qui dessinent la Carte du Tendre, lorsque brusquement mes yeux se décillèrent : c’était en fait Alex qui m’annonçait qu’il s’était fait éliminer de son tournoi de pétanque et qu’il pourrait de facto nous honorer de sa présence. Ça tombait d’autant mieux qu’il manquait toujours un joueur en R1 : du coup, Mattéo pouvait renforcer l’équipe de Claude.

A H – 45 minutes, j’étais arrivé au club un peu en avance et en traînant la moitié de ma progéniture pour installer les échiquiers, les pendules et préparer le noir breuvage qui accompagne généralement nos cérémonies païennes dédiées à Caïssa, lorsque mon palpitant s’accéléra tout à coup : sur le trousseau de clés qu’on m’avait confié, il en manquait une, celle justement qui ouvrait la porte de l’armoire qui contenait les pièces et les horloges. Heureusement, un coup de fil donné à l’indispensable Christophe (indispensable, sauf lorsqu’il joue pour l’équipe 2 😉 ), m’apprit que pour trouver ladite clé, il fallait ouvrir une autre armoire qui recelait en ses flancs une télé sous les pattes de laquelle – je ne sais pas si vous me suivez bien – se trouvait justement et non par hasard l’objet que je cherchais en vain et désespérais de trouver un jour.

2015-04-13_10_07_40Bref. Une fois le tout installé – merci à J-C pour le coup de main et à Claude pour m’avoir appris à régler les pendules –, il ne restait plus qu’à attendre de pied ferme nos adversaires, je le rappelle pour ceux du fond qui ne suivent pas, de L’Ecole Française d’Echecs de Metz. Eh bien, pour des écoliers, je dois dire que les partenaires du capitaine Alexis, dit aussi Magnus Larsen, avaient plutôt l’allure et l’âge de profs, ou alors, ils avaient beaucoup redoublé. Bon, il y avait quand même un ou deux jeunots, dont un, qui, avec ma chance habituelle, m’échut.

Je dois à ce moment précis de mon con-te rendu ouvrir une parenthèse destinée au lecteur non initié qui pourrait s’étonner qu’un adulte dans la force de l’âge comme moi pût craindre un petit jeune homme usant encore ses culottes courtes sur les bancs du collège public ou privé, on n’est pas sectaire. Mais c’est justement là où tu te goures, lecteur mon ami. Les échecs sont à ma connaissance le seul sport où un gamin peut ridiculiser un adulte sans lever le nez de sa console Nintendo, alors qu’on ne verra jamais cela, par exemple et au hasard, dans un championnat d’orthographe.

Reprenons. Chacun ayant trouvé son chacun, les parties peuvent commencer. Avec les Blancs, j’affronte une Pirc. Comme c’est mon dernier match de la saison, je décide de me faire plaisir et de me lancer dans une variante que je n’avais jamais jouée jusque là, mais que j’avais vue la veille au soir dans un livre, où le conducteur des Blancs avait utilisé un truc rigolo qui s’appelle l’ «attaque de nuit», et dont l’idée principale consiste à gambiter le pion e dans l’espoir de le regagner ultérieurement avec dividende si tout se passe bien.

Bien sûr, tu l’auras deviné lecteur mon ami, tout ne s’est pas passé exactement comme prévu. D’abord, la position n’était pas tout à fait la même, et je me suis rendu compte, mais trop tard, que j’allais devoir dépenser un tempo pour défendre f2, pris en tenaille par une tour et un bourrin. Du coup, au lieu d’attaquer, ce qui était tout de même un peu l’idée, me voilà obligé de défendre, et je ne peux éviter une série d’échanges. Au bout d’une vingtaine de coups, j’ai une vraie poubelle, et je finis par me retrouver en finale de tours, mais toujours avec mon pion de moins. C’est dans des moments comme ceux-là que je comprends un peu mieux pourquoi les barbares à barbe – ou à moustaches – brûlent les livres…

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J’étais plongé dans mes considérations philosophiques lorsque tout à coup un cri étouffé vint troubler la sérénité de mon désespoir : l’adversaire de Gégé, dans une position gagnante, venait de gaffer en ne déplaçant pas sa dame en prise… En prime, j’étais contagieux !

A peine le temps de nous remettre de nos émotions que le goleador Aliaume créait la surprise en doublant le score ! Précisons tout de suite au lecteur novice que ce n’est pas la victoire de la chère chair de ma chair (que l’on peut admirer ici en plein entraînement) qui est susceptible de susciter l’ébahissement des foules tant il est coutumier du fait cette saison – 6 gains en autant de participations : non, c’est sa rapidité…

A 2-0, le break était fait. Mais notre avance allait rapidement fondre comme Belge au soleil avec les défaites d’Alex, puis de Florian, qui s’était pourtant entraîné la veille jusqu’à 5 heures du matin. Par bonheur, Jean V, puis Jean-C, nous apportaient magistralement deux points on ne peut plus précieux, le premier en gagnant contre l’étoile montante de l’EFE, le second en battant son sympathique président.

Pendant ce temps, je me débattais toujours dans ma finale, mais sans les tours, et toujours avec mon pion de moins. Quelques coups auparavant, j’espérais bien arracher la nulle, et j’avais bâti pour ce faire une forteresse. Las ! Comme me l’ont montré plus tard mes coéquipiers plus expérimentés, le recul de mon roi pour échapper à un réseau de mat allait entraîner ma perte. Les tours échangées, je ne peux plus empêcher le monarque adverse d’entrer dans mon camp, et me résous à déposer les armes.

Ah lecteur mon ami, les yeux dans les yeux je te le redis : dans ce monde sans repères où tout fout le camp, où le respect se perd et les valeurs s’inversent, nous vivons vraiment une triste époque, car ce sont à présent les Petits Ecoliers qui croquent les maîtres. En tout cas, ma décision est prise : l’année prochaine, j’arrête les échecs et je me mets au Scrabble. Là, au moins, je suis à peu près sûr qu’aucun gamin ne pourra me battre : il faudrait pour cela qu’il connût des mots de plus de deux syllabes. Et puis, avec un peu de chance, au club de Scrabble, le p’tit jeune, ce sera moi…

2015-04-13_10_03_29Ou alors, pour rétablir l’équilibre, je me mets à tricher. Précisons d’emblée que je ne fais pas ici allusion à l’incontinent champion de Géorgie. Non : planquer un téléphone portable dans les toilettes ce n’est pas de la vraie triche, ça ne marche pas. Je sais, j’ai essayé. A un tournoi de Blitz. J’ai perdu toutes mes parties. Mais j’ai quand même réussi à jouer à chaque fois 7 coups parfaits, j’étais fier, sans compter les bénéfices sur le plan cardiovasculaire. Non, je veux parler du comportement honteux de Wesley So au championnat US, fort justement dénoncé par son adversaire. Si comme lui, j’avais pu écrire pendant ma partie des phrases comme : «Ne crois pas ce qui est marqué dans les bouquins», «Un bon coup est toujours meilleur qu’un mauvais», «Joue mieux que ton adversaire et tu gagneras», «N’oublie pas d’acheter le pain en rentrant», sûr que la face de la rencontre en eût été changée, et tout le talent de mon jeune adversaire qui n’en manque pourtant pas n’y aurait pas suffi.

Reprenons. A 4-3 en notre faveur, il ne reste plus qu’une partie, et ce n’est pour une fois pas Aliaume que nous attendons en sirotant un kir et en bouffant des bretzels, c’est Jean T. Jean T et son style caractéristique de boa constrictor, avec sa chaîne de pions qui se tiennent par la main et son roi un peu dans les courants d’air. Jean tisse sa toile, et quand son adversaire, ficelé, ne peut plus bouger ne serait-ce qu’une oreille, il se lève, grignote quatre biscuits, se rassoit et lui porte l’estocade finale, nous offrant le point de la victoire.

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Qui l’eût cru ? Notre petite équipe vouée à connaître les affres de la relégation terminait première ex aequo de son groupe !!! Co-championne !!!

A l’issue de cette saison riche en émotions, je tiens à remercier et à féliciter tous les joueurs qui ont participé à cette aventure, même modestement : Alex, Jean-Jacques, Jean T, Jean V, Marc, Jean-Christophe, Alexandre H, Alexandre P, Aliaume, Bérénice, Florian, Yannick, Gérard…

Bravo, merci, et à l’année prochaine… si je ne me mets pas au Scrabble.

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